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Les origines grecques« Sans doute, Anaximandre, philosophe présocratique grec (vers 610 av. J.-C. - vers 546 av. J.-C.), peut-il (au moins suivant les extraits lacunaires dont nous disposons) être considéré comme l’un des pères de la notion de mondes multiples. Il invente la pluralité des mondes en supposant qu’ils apparaissent et disparaissent, que certains émergent quand d’autres périssent. Ce mouvement est pour lui nécessairement éternel, car, écrivait Simplicius, “sans mouvement il ne peut y avoir ni génération ni destruction”. Anaximandre clamait d’ailleurs que le principe des êtres émane de l’infini, duquel proviennent les cieux et les mondes.Et Cicéron lui-même spécifie en outre que le philosophe associait des dieux différents aux mondes innombrables qui se succèdent. La cosmologie d’Anaximandre marque une rupture par rapport à celles de ses prédécesseurs, tant dans ce qu’elle énonce que par ce sur quoi elle se fonde. Elle s’organise dans une sorte de tension définitoire entre le principe de l’illimité (a-peiron), la structure des objets constituant le monde et le caractère du monde lui-même, en tant que système astral. Anaximandre impose à la nature de n’avoir aucun droit à l’immortalité et à l’unicité. Au croisement de l’empirie et de la pensée transcendantale, le concept de mondes multiples apparaît en quelque sorte ici par défaut. La finitude du monde - limité en qualité, en espace et en temps - impose sa corruption. Il est périssable parce que limité. Anaximandre, que certains, comme le physicien Carlo Rovelli, considèrent comme le précurseur de la physique moderne, crée la pluralité des mondes dans un strict désir de cohérence interne et d’intelligibilité.Plus tard, la question se pose également chez les atomistes. Chez Démocrite (début du IVe siècle avant J.-C.) comme chez Épicure (début du III° siècle avant J.-C.), les atomes ne sont pas seuls en nombre illimité, mais les mondes semblent l’être aussi. Univers s’écrit au pluriel, les mondes peuvent naître et mourir. Mais ici, la multiplicité se diffracte : la multiplicité des effets (mondes et agencement atomiques) n’est possible que si l’on pose une multiplicité des principes. Il convient néanmoins de considérer avec prudence cette notion d’infini. Lorsque Démocrite écrit que le nombre de formes atomiques est illimité, cela ne signifie strictement qu’il est rigoureusement infini au dénombrement ou de la numération. »Le terme est que chez Anaximandre elle peut se traduire par « indéfini » autant que par « illimité ». La Nature s’invite dans une sorte de contingence structurelle au sein même de ce mécanicisme déployé.« L’approche d’Épicure, tout en se fondant sur la physique démocritéenne, entreprend de la refonder radicalement. Épicure limite les formes atomiques et Lucrèce, son disciple latin, écrit explicitement que « les formes de la matière ne doivent pas non plus varier à l’infini ». Et c’est précisément ce refus de l’illimité qui impose une pensée de la limite magnifiquement incarnée par l’image de la déclinaison. Cet écart nec plus quam minimum (pas plus que le minimum) des particules à leurs trajectoires ouvre ce que Lucrèce nomme un « principe d’indétermination ».